22/09/18 - J'ai enduré l'hyper-comptage


I

Le son d'une voiture fait un mouvement ascendant, lorsque le véhicule approche et descendant lorsqu'il s'éloigne. Au plus prêt, le volume en dB est à son maximum, et à l'oreille on l'identifit facilement, puisque le volume sonore par oreille nous permet de positionner dans l'espace les sources de bruit.

On peut, si l'on a un son plus fort à l'oreille droite, dire que l'objet qui fait du bruit est à droite de l'axe formé entre le devant et l'arrière du crâne. Une simple rotation de la tête devrait modifier le volume par oreille. A 180°, en toute logique, les volumes seront inversés.

Un son qui vient de devant comporte plus de fréquences aiguës qu'un son qui vient de derrière. La forme de l'oreilel l'éxplique. La peau et le cartilage font barage aux vibrations à haute fréquences venant de derrière, et vibrent au rythme des fréquences basses.

Par conséquent, les fréquences basses sont naturellements plus présentes à l'arrière du crâne qu'au devant.

II

Ce doit être un délire ?

Pendant plusieurs mois je me suis mis à attendre le maximum du volume des voitures pour regarder l'heure. Je me disais qu'on pouvait avoir chronométré le temps de passage d'un véchicule à 50km/h et décider des passages à la minute prêt.

Je me suis épuisé à faire ça. Ca m'a rendu malheureux.

J'étais hyper attentif à toutes les voitures, J'essayais de trouver une logique entre mes gestes et pensées et les voitures qui circulaient dans les 5 minutes précédentes ou suiventes. Je voulais rester à cette échelle de 10 minutes de cohérence.

Les voitures devenaient pour moi des êtres intelligents, avec un fonctionnement logique. Je me faisais réveiller par elles, chahuter toute la journée par elles, elles étaient partout, dans ma rue, dans les parkings, en campagne, sur toutes les routes, je me sentais cerné de toutes parts, je les entendais toutes qui me parlaient, qui m'interpelaient.

III

Je voulais de l'acool, je voulais oublier, débrancher mon cerveau, disparaitre, et mon coeur a commencé à pincer, j'ai eu de plus en plus mal à la poitrine, j'ai faillit m'évanouïr à plusieurs reprises.

C'est un passage chez le médecin qui m'a calmé, mais il ne s'est strictement rien passé donc je ne comprends pas trop pourquoi le mécedin a eu un effet.

De mémoire, je crois que je n'ai jamais été aussi loin dans l'épuisement et la souffrance que pendant cette période. Ce n'est pas comparable à l'internat pour ce qui est de la privation de liberté totale et de l'enfermement strict, ni à 2014 pour ce qui est de la violence et de la brutalité, mais c'était plus diffut, plus long, j'étais libre de tout sauf d'arrêter de souffrir.

IV

Dans la rue il y avait un taux impressionant de klaxons, sifflements, accélérations brûtales, crissements de roues de voitures et de passages, de nature suspecte.

Je souffrais et j'essayais de comprendre.

Les klaxons m'ont fait souvent éprouver des envies de tuer, par désespoir. Les sifflements, pareil. Les accélérations je les voyais comme une éclaboussure au sommet d'une vague. La masse de bruit était déjà trop importante en volume cumulée, les accélératiosn ne changeaient donc strictement rien.

Et tard le soir, alors qu'il faisait nuit noir et que presque plus aucune voiture ne passait, j'entendais des sifflements de passants. Ce qui me laisse penser que tout ça était bel et bien volontaire.

Parfois on se serait dit à Bangkok

V

Tenir bon. Tenir ferme. Dormir ? Ne pas dormir. Avoir mal. Etre debout. Marcher. S'arrêter. S'assoir. Se lever. Marcher. Dormir ? ne pas dormir. Quelle heure est-il ? Il n'est que 10 heures et les voitures commencent à peine.

VI

Je crois que le feu lâche les voitures sur le quai en les comptant. Ou alors il y a quelqu'un de posté là-bas pour compléter les mauvais chiffres.

Ca fait "vroum vroum vroum !", trois voitures collées. Il est quelle heure ?

Ca fait "vroum !", 30 secondes "vroum vroum vroum vroum !". Je prend ça pour cinq passages ou un passage plus quatre ? Quel écart de durée entre les deux ensembles ?

J'ai l'impression que ça n'arrête plus : "vroum vroum vroum vroum ... vroum !". Il est que 12h34 pourtant. Est-ce qu'il y a des périodes plus bruyantes que d'autres ?

Ca y est, j'en peux plus, je veux arrêter, il est 12h45, j'en peux plus. "vroum vroum vroum vroum vroum !".

Je veux que ça arrête ! "vroum vroum vroum vroum vroum vruom vroum vroum !"

Les bouchosn d'oreille arrêtent rien du tout ! "vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum !".

13h00, j'ai essayé de m'allonger mais j'ai mal partout et il y a trop de bruit. "vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum !".

15h25, j'ai mal partout, je veux que ça arrête, j'arrive plus à supporter. "vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum !".

18h00 "vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum vroum !".

19h00 "vroum vroum            vroum vroum vroum vroum vroum                        vroum vroum vroum vroum vroum !".

20h00 "vroum                        vroum             vroum vroum vroum                        vroum vroum vroum vroum vroum !".

23h00, ils sifflent dehors. Je suis cuit en dedans. Il fait frais, calme, mais ça ne change rien au fait que j'étais épuisé au réveil avec les premières voitures. Je ne pourrai plus profiter de la soirée.

VII

Ce mois finira bien par se terminer. Dans quelques années, si j'ai tenu bon, je viverai peut-être dans un logement silencieux, qui sait ? Peut-être que je pourrai lire ? Peut-être que je pourrai penser ? Je veux dire, là ça fait des années que je fais rien, aujourd'hui c'est pire que jamais, j'ai le coeur qui commence à vouloir s'arrêter, mais c'est pas une raison, ça finira par s'arranger.

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